Peut-on éduquer sans récompenser ? 1/3
- A août 21, 2014
- Par Delphine
- Dans Parentalité, Questions-réponses
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Un échange particulièrement stimulant avec une maman au sujet des récompenses, encouragements, compliments et autres renforcements positifs m’a donné l’envie de rédiger cette série d’articles.
Les questions de cette maman, que nous appellerons Lucie, partent d’une discussion qu’elle a eue avec deux autres mamans. Chacune utilise une méthode basée sur les récompenses pour encourager et renforcer les comportements « positifs » de ses enfants. Les arguments de ces trois mamans ont nourri ma réflexion et je m’en suis inspirée pour étayer cet article. Merci à Lucie de m’autoriser à publier quelques extraits de notre échange.
Pour mieux situer le débat, il s’agit donc d’une réflexion sur les méthodes éducatives utilisant le système des récompenses pour encourager et renforcer les comportements « positifs » des enfants.
Libre à chacun de définir ce qu’est pour lui un comportement « positif ». Sont généralement admis comme tels, tous les comportements agréables pour le parent. En voici quelques exemples : l’enfant qui aide aux tâches ménagères, respecte les règles de politesse, obtient de bonnes notes à l’école et/ou de bonnes appréciations de la part de l’instituteur-rice, range, mange (ce qu’on lui sert !), se couche sans faire d’histoire, se lave, s’habille, fait ses devoirs (le tout sans qu’on ait à lui demander dix fois de le faire), est conciliant avec ses frères et sœurs, est sage en présence des adultes (= laisse maman discuter tranquille avec ses amies, se montre exemplaire avec la voisine épargnant à ses parents des réflexions pénibles sur leurs choix éducatifs…), et agréable de manière générale (pas de caprice, pas de colère), fait des efforts au quotidien, etc. Que cela se fasse spontanément ou au prix de « petits sacrifices ».
Voici en quelques lignes le principe de la méthode 1 :
A chaque comportement « positif » de l’enfant, le parent lui donne « 1 point ». Le but est d’arriver à 10 points et la récompense est d’avoir une petite image. Si l’enfant arrive à gagner les 10 petites images, c’est à dire 100 points, alors il gagne une grande image. A l’inverse, chaque comportement « négatif » génère une perte de points. Une fois la petite image gagnée, l’enfant peut la coller dans un cahier et dessiner s’il le souhaite les actions qui lui ont permis d’obtenir cette image mais aussi celles qui lui ont fait perdre des points.
Inversez maintenant tous les comportements cités plus haut et vous obtiendrez la catégorie des comportements « négatifs » et donc susceptibles de faire perdre des points à l’enfant.
Méthode 2. Le système 100% récompenses :
Ici le principe est de souligner uniquement les comportements « positifs ». A chaque tâche réalisée, (une tâche correspondant à un effort) l’enfant va mettre une croix dans un tableau répertoriant toutes les tâches (mettre la table, nourrir le chien, faire ses devoirs, nettoyer la table, balayer la cuisine, ranger sa chambre, etc.). Au bout d’un certain temps et d’un certain nombre de croix, le parent récompense les efforts de l’enfant par une image, un cadeau… ou de l’argent selon son âge. Puis un nouveau tableau est affiché et le processus repart à zéro. Le parent ne tient compte ici que des efforts réalisés et ne retire jamais de croix, attirant l’attention de l’enfant uniquement sur le positif.
Dans les deux cas, l’objectif est de donner à l’enfant une motivation à fournir des efforts et à adopter des comportements qui soient agréables et acceptables pour son entourage. Sans doute me direz-vous que le but est aussi que l’enfant adopte des comportements qui soient avant tout agréables pour lui-même. Qu’apprendre à maîtriser ses émotions, faire des efforts, maintenir son environnement propre et à peu près ordonné, aider les autres, réussir à l’école et être agréable en société sont des compétences inestimables pour réussir sa vie.
Ce à quoi je réponds que l’objectif est louable mais que la méthode est discutable.
Mais avant d’en venir aux avantages et aux inconvénients des méthodes en question, définissons d’abord ce qu’est une récompense :
Définition 1 : Ce qui est accordé à quelqu’un en remerciement d’un service rendu ou en reconnaissance d’un mérite particulier.
Définition 2 : Avantage ou sanction qui résulte d’une action, d’un comportement.
Qu’elles soient utilisées seules ou parallèlement aux punitions, les récompenses font encore largement partie de la « boîte à outils » du parent ou de l’éducateur pour obtenir certains comportements de la part des enfants. Qu’elles prennent la forme d’un objet, d’un compliment, d’une note ou d’une activité plaisante ou gratifiante, elles doivent pour être efficaces, représenter un avantage pour l’enfant et donc être stimulantes.
Avantages et inconvénients du système des récompenses pour motiver un enfant :
Le principal avantage que je vois au système de récompenses accordées par l’adulte à l’enfant « méritant », est que : ça marche !
Il m’arrive moi-même de recourir aux récompenses quand je suis à court d’idées, fatiguée, découragée, énervée ou simplement par curiosité. Et ma foi, c’est d’une efficacité redoutable avec les jeunes enfants ! C’est une méthode qui dépanne, je l’admets, mais je ne la vois en aucun cas comme éducative. Enfin tout dépend de ce que l’on entend par éduquer. J’y reviendrai plus tard.
Ça marche donc…
Du moins tant que l’adulte est là pour récompenser l’enfant.
Tant que la récompense en question intéresse l’enfant.
Et tant que l’enfant est dépendant de l’adulte pour satisfaire ses besoins. Car en principe, vient un moment où l’enfant devient moins sensible aux récompenses, pour la bonne et simple raison qu’il peut se les procurer lui-même !
Cette méthode éducative présente donc pour moi plusieurs limites :
1 /Elle est efficace à court terme.
2 /Elle place l’enfant en position de dépendance vis-à-vis de la personne qui décide d’attribuer ou non la récompense.
3/ Elle prive l’enfant du plaisir d’agir pour le bien-être de tous et non en vue d’une récompense précise.
En outre, elle soulève une question que me/se posait Lucie à propos de ces deux méthodes :
« Est-ce que le moteur de la bonne action du coup ne deviendrait pas la récompense? »
En réalité, je suis convaincue que quelle que soit l’éducation que nous recevons, le moteur de chacune de nos actions est précisément « la récompense ». Non pas sous la forme d’images ou de cadeaux mais sous la forme de ressentis agréables : sécurité, liberté, satisfaction, plaisir, repos, accomplissement, fierté, soulagement, confort, mieux-être, joie, dépassement de soi, renforcement des liens avec les autres, renforcement de notre estime de soi et de notre confiance en nos capacités…
Et lorsque nous souffrons et ne pouvons accéder à toutes ces sensations agréables, nous recherchons par nos actes à atténuer notre souffrance. Ce qui est aussi une forme de récompense.
Sans récompense, point de motivation.
Ainsi que nous utilisions la méthode 1, la méthode 2 ou une autre méthode, ce qui pousse nos enfants à agir est de toute façon la perspective d’une « récompense ».
Ce qui m’interroge ce n’est pas le principe de la récompense en soi mais le fait qu’elle soit donnée sous la forme de biens matériels et qu’elle soit donnée par l’adulte.
Quels messages transmet l’adulte à l’enfant en procédant ainsi ?
1/ Tu as besoin d’une récompense matérielle pour te comporter de façon acceptable et pour fournir des efforts.
Ce premier message sous-entend que sans perspective de récompense matérielle, l’enfant n’a pas la motivation suffisante pour agir de façon « acceptable ». Si la récompense matérielle fonctionne la plupart du temps, je reste convaincue que le ressort de la motivation se trouve ailleurs…
2/ Je n’ai pas confiance dans ta capacité à tenir compte de mes besoins et à effectuer par toi-même certaines taches rébarbatives (ranger ta chambre, débarrasser/mettre la table…)
Ce qui est vrai pour les jeunes enfants et s’inverse à mesure qu’ils grandissent et mûrissent, pour peu qu’ils aient conscience de nos besoins et sentent que les leurs sont respectés en retour (et là c’est à nous de savoir communiquer !)
3/ Tu as besoin d’un regard extérieur pour juger si ce que tu fais mérite ou non d’être récompensé
Je reviendrai plus tard sur ce point…
4/ Acquérir des biens donne de la valeur (si j’ai 10 images, je suis « meilleur » que si je n’en n’avais que 6)
Lors d’une récente formation, une participante me dit à propos des bons points qu’elle recevait à l’école : » Je détestais cela car je trouvais cela injuste ! mes copains en recevaient toujours plus que moi, alors que je fournissais autant d’efforts qu’eux!« . Cette personne souligne 2 choses :
- Les efforts comptent tout autant que les résultats et ne sont pourtant pas toujours pris en compte.
- Les récompenses nourrissent le sentiment de compétition, de dévalorisation et d’injustice entre les enfants (et aussi entre les adultes !).
Ainsi, non seulement l’enfant qui ne reçoit pas de récompense peut avoir le sentiment de ne pas être capable, méritant, agréable, intelligent…, et reconnu, le cas échéant, pour ses efforts, mais en plus il peut se dévaloriser et nourrir des sentiments de jalousie ou de rancœur par rapport à son frère (ou son copain ou son voisin) qui lui en reçoit. Sans compter la rancœur et le sentiment d’injustice qu’il peut nourrir envers l’adulte.
En outre, je doute fort que la rancœur, la dévalorisation de soi, la jalousie et l’injustice soient porteurs de changements ou de comportements « positifs » chez l’enfant.
Qu’est-ce qui motive l’enfant à agir ?
Les besoins de l’enfant sont le thème central de mes formations. Ce sujet me passionne et je me documente régulièrement sur la question. Sans rentrer ici dans les détails, l’idée est que plus les besoins de l’enfant sont satisfaits (nourriture, affection, sécurité, autonomie, lien, soutien, confiance, écoute, confort, respect, empathie…), mieux il se sent et plus il devient autonome pour les satisfaire lui-même. Et plus il est motivé pour prendre soin à son tour des besoins des autres. Ce formidable cercle vertueux étant bien sûr valable pour les adultes !
Ainsi la motivation (et ce n’est pas Mazlow qui me contredira !) serait la conséquence de la satisfaction de nos besoins.
Les éducateurs qui mettent en place des pédagogies basées sur l’autonomie, l’accompagnement, le respect de chaque individualité, la liberté de choisir, l’écoute et la coopération (sans système de notation, de récompenses ou de punitions et dans un cadre donné) témoignent de ce cercle vertueux. Leurs élèves se montrent en effet particulièrement motivés à apprendre et à coopérer. Pourquoi ? D’ une part, parce que ces éducateurs s’appuient sur la volonté innée de l’enfant à apprendre, à comprendre, à progresser et à coopérer. D’ autre part, ils leur assurent toutes les conditions pour entretenir et développer cette motivation. En d’autres termes : ils nourrissent leurs besoins.
Nous avons chacun notre propre vision de ce qu’est l’éducation, de notre rôle de parent ou d’éducateur. Et selon l’objectif que nous poursuivons, nous allons nous sentir plus ou moins à l’aise avec les récompenses telles qu’elles sont décrites dans les méthodes 1 et 2.
Pour moi éduquer un enfant c’est lui montrer la voie à suivre pour devenir autonome, respectueux (de lui-même, des autres et de son environnement), et responsable. C’est aussi le soutenir dans ses apprentissages et le laisser libre de suivre sa propre voie. C’est pourquoi il m’est difficile de concilier cette vision de l’éducation avec le système classique des récompenses. A travers mes lectures, mes rencontres, mes formations et mes expériences, je cherche et explore donc d’autres voies pour transmettre à ma fille et aux enfants qui m’entourent, les valeurs qui me sont chères et le plaisir d’adopter les comportements « acceptables » ou « positifs » qui font que nous avons tout simplement plaisir à vivre ensemble.
Je ne pouvais terminer ce premier article sur les récompenses sans partager cette citation de Marshall B. Rosenberg (fondateur de la Communication Non Violente) :
De nombreuses personnes pensent qu’il est plus humain d’accorder des récompenses que d’infliger des punitions mais pour moi les deux sont le fruit d’un pouvoir sur l’autre. La Communication Non Violente, quant à elle, repose sur le pouvoir avec l’autre. Lorsque nous exerçons un pouvoir avec l’autre, nous n’essayons pas de l’influencer en le faisant souffrir s’il ne fait pas ce que nous voulons ou en lui faisant miroiter une récompense, s’il nous obéit. Il s’agit d’un pouvoir fondé sur la confiance et le respect mutuels, qui nous amène à nous écouter, à apprendre les uns des autres et à offrir avec élan, par désir de contribuer au bien-être de tous, et non par crainte d’être puni ou par désir d’être récompensé. »
M.B. Rosenberg
Pour résumer cette première partie…
- La principale limite du système de récompenses venant d’une personne extérieure est qu’elles deviennent l’unique moteur de l’action. Donc si l’on supprime la récompense, la motivation retombe.
- Les besoins sont la clé de la motivation. Or, le système éducatif basé sur la récompense tel qu’il existe dans nos familles, nos écoles, nos entreprises et nos institutions (décrit plus haut dans les méthodes 1 et 2) ne tient compte que d’une partie de ces besoins. Les prendre tous en compte augmente notre bien-être et notre équilibre.
- Même si nous pensons encourager l’enfant en ne focalisant notre attention que sur le positif (méthode 2), nous le maintenons dans une position de dépendance vis-à-vis de nous et gardons une forme de contrôle sur ses comportements.
- Le système des récompenses (comme méthode éducative) nous coupe de notre élan inné à agir en accord avec la satisfaction de nos besoins et dans le respect de ceux des autres. Il génère par ailleurs des sentiments et émotions qui peuvent être contre-productifs (rancœur, injustice, jalousie, compétition, dévalorisation, peur, colère, tristesse, haine…).
- La perspective d’une certaine forme de récompense fait pourtant partie de la motivation. Elle est tout à fait positive en soi puisqu’elle nous pousse à agir, à progresser et même à nous corriger. La « récompense » que nous recherchons de façon innée n’est cependant ni matérielle, ni conditionnée.
Ce dernier point m’amène à la question que je traiterai dans la seconde partie de cet article « Peut-on éduquer sans récompenser ? 2/3 » : De quelles « récompenses » les enfants ont-ils réellement besoin ?
Alex Eyral
Un article très intéressant, j’attends la suite avec impatience, d’autant plus que comme à ton habitude tu tombes en plein questionnement de ma part….. 😉